Expérience personnelle et réflexions à propos de l'évolution des techniques
Pratiquant la lithographie en tant qu'imprimeur d'art et éditeur, depuis la fin des années 70, date de mon apprentissage dans l'atelier de mon grand-père, j'ai vu ainsi apparaître, à la fin des années 90, de nouvelles images imprimées, dont chaque état successif était de plus en plus prometteur au fur et à mesure des avancées technologiques.
Mark di Suvero, le sculpteur américain, pour lequel je réalisais alors de grandes lithographies sur pierre, fut le premier à me montrer des tirages qu’il réalisait grâce à des logiciels de dessins 3D, sur une imprimante jet d'encre. Le format était alors limité au A3 et les couleurs ne tenaient pas à la lumière, puisque les tirages accrochés dans son atelier commençaient déjà à s’effacer, mais on sentait bien que l’immédiateté du procédé et les incroyables possibilités qui s’annonçaient allaient bientôt passionner toute une génération d’artiste.
Plus tard, en travaillant dans son atelier en Californie, je réalisais les premiers tirages mixtes, qui allaient devenir ce que Mark appelaient ses "digi-lithos". Mark travaillait sur un mac pour faire un dessin que je transformais sous photoshop, avant de le faire "flasher" sur film acétate, pour pouvoir l’insoler sur une plaque litho.
Trois acteurs essentiels étaient venus bouleverser mon métier d'imprimeur : Apple Macintosh, dont l'interface graphique et la présence même des écrans devenus en couleurs, annonçaient une évolution majeur; Adobe Photoshop, les différentes versions successives du logiciel des frères Knoll, rentraient petit à petit dans les ateliers, pour être adoptées par tous les métiers de l'image; et les imprimantes Epson, dont la résolution des traceurs ne cessaient de progresser du 720 dpi en 1994 au 1440dpi en 1997. Et la mise au point des encres à pigments, qui allaient révolutionner le monde du numérique en permettant des standards de conservation et de résistance lumière jusqu'alors inimaginables.
En 2001, j’installais ma première imprimante Epson, au milieu de mon matériel litho et je rencontrais les techniciens d'Epson, pour me documenter sur les nouveaux modèles grand format qui venaient de sortir. En 2002, je réalise mes premières éditions numériques avec Martin Parr et l'impression jet d’encre devient pour moi le moyen évident d'imprimer les images conçues sur écran. Le passage du pixel au pigment se faisant ainsi tout naturellement grâce à l’impression numérique pigmentaire.
La question qui se pose alors pour moi : continuer de me consacrer à la pratique de la litho, qui deviendra comme un instrument "ancien", avec sa beauté et sa rigueur, ou au contraire, plonger dans les recherches et explorations d’un nouveau mode d'expression ? Les artistes, le fil de la création, que j’ai toujours suivi et l’énergie qui en découle m’apportent la réponse. Il s’agit pour moi d’explorer et de proposer l’invitation à l'appropriation de ces techniques aux artistes, plutôt que de la laisser "confisquée" par des techniciens de l’image.