Andy Warhol, Cow Wallpaper,sérigraphie, 1966
Pablo Picasso,Taureau, lithographie, 1945
Francisco Goya, Tauromaquia, gravure 1815
Grotte de Pech Merle, pochoir, - 25 000 ans
premier Digimon (Digi-Monsters), juin 1997
Albrecht Dürer, gravure sur bois, 1515
D’autres questions viennent également à se poser...
 

Le peintre réalise son tableau physiquement en un temps, alors que le compositeur de musique écrit une partition, qui sera ensuite interprétée dans un deuxième temps et ce sont les interprétations qui révéleront l’œuvre terminée. La peinture est un art à une phase (conception et création physique de l’œuvre) alors que la musique est un art à deux temps (partition et exécution), comme l’architecture ou le design (projet et réalisation).
 
Comment situer le tirage numérique entre création originale et interprétation ?
 
Le parallèle avec la partition, pose la question de l'original, (fichier source ou tirage signé ?) et également celle de la conservation. Là où la matrice analogique, (plaque de cuivre ou pierre litho), n’était considérée que comme une étape technique intermédiaire, le fichier deviendrait-il une matrice originale à sauvegarder, pour d’éventuels retirages ou variations à venir ? Ainsi, va t’on restaurer les épreuves imprimées ou plutôt s’orienter vers des retirages ultérieurs d’après les fichers originaux, avec les possibilités de ré-interprétation et de variations à partir de la partition originale ?
 
Le numérique, avec sa précision sans cesse améliorée, qui va désormais bien au-delà de la perception de l’œil humain, et les changements d'échelle autorisés, permet l’obtention de contretypes quasi-parfaits. Cela en devient troublant, un phénomène «Lascaux 2», celui d'une copie qui restitue la sensation du réel. Un concept de reproduction mais avec l'intensité d'un geste original. C’est un débat qui ne fait que s’ouvrir pour les conservateurs de musées et qui ouvre déjà de nouveaux champs d’exploration pour les artistes.
 
On revient bien ainsi à l’une des vocations premières de l’estampe, un art imprimé pour la diffusion, comparable à l’enregistrement pour la musique.
Mais ici aussi, il reste essentiel de distinguer l’estampe originale, c’est à dire conçue et créée spécifiquement par son auteur et l'estampe de reproduction, la distinction est exactement la même que dans les procédés d’impression traditionnels.
 
Le numérique offre de nouveaux moyens et de nouveaux champs, mais c'est toujours l'acte de création et sa conception originale qui en font une œuvre originale imprimée.
 
Franck Bordas, extrait d'une lecture diaporama pour Étapes Graphiques à l'École d'Art de Lorient, mars 2012
Expérience personnelle et réflexions à propos de l'évolution des techniques
 

Pratiquant la lithographie en tant qu'imprimeur d'art et éditeur, depuis la fin des années 70, date de mon apprentissage dans l'atelier de mon grand-père, j'ai vu ainsi apparaître, à la fin des années 90, de nouvelles images imprimées, dont chaque état successif était de plus en plus prometteur au fur et à mesure des avancées technologiques.
 
Mark di Suvero, le sculpteur américain, pour lequel je réalisais alors de grandes lithographies sur pierre, fut le premier à me montrer des tirages qu’il réalisait grâce à des logiciels de dessins 3D, sur une imprimante jet d'encre. Le format était alors limité au A3 et les couleurs ne tenaient pas à la lumière, puisque les tirages accrochés dans son atelier commençaient déjà à s’effacer, mais on sentait bien que l’immédiateté du procédé et les incroyables possibilités qui s’annonçaient allaient bientôt passionner toute une génération d’artiste.
 
Plus tard, en travaillant dans son atelier en Californie, je réalisais les premiers tirages mixtes, qui allaient devenir ce que Mark appelaient ses "digi-lithos". Mark travaillait sur un mac pour faire un dessin que je transformais sous photoshop, avant de le faire "flasher" sur film acétate, pour pouvoir l’insoler sur une plaque litho.
 
Trois acteurs essentiels étaient venus bouleverser mon métier d'imprimeur : Apple Macintosh, dont l'interface graphique et la présence même des écrans devenus en couleurs, annonçaient une évolution majeur; Adobe Photoshop, les différentes versions successives du logiciel des frères Knoll, rentraient petit à petit dans les ateliers, pour être adoptées par tous les métiers de l'image; et les imprimantes Epson, dont la résolution des traceurs ne cessaient de progresser du 720 dpi en 1994 au 1440dpi en 1997. Et la mise au point des encres à pigments, qui allaient révolutionner le monde du numérique en permettant des standards de conservation et de résistance lumière jusqu'alors inimaginables.
 
En 2001, j’installais ma première imprimante Epson, au milieu de mon matériel litho et je rencontrais les techniciens d'Epson, pour me documenter sur les nouveaux modèles grand format qui venaient de sortir.  En 2002, je réalise mes premières éditions numériques avec Martin Parr et l'impression jet d’encre devient pour moi le moyen évident d'imprimer les images conçues sur écran. Le passage du pixel au pigment se faisant ainsi tout naturellement grâce à l’impression numérique pigmentaire.
 
La question qui se pose alors pour moi : continuer de me consacrer à la pratique de la litho, qui deviendra comme un instrument "ancien", avec sa beauté et sa rigueur, ou au contraire, plonger dans les recherches et explorations d’un nouveau mode d'expression ? Les artistes, le fil de la création, que j’ai toujours suivi et l’énergie qui en découle m’apportent la réponse. Il s’agit pour moi d’explorer et de proposer l’invitation à l'appropriation de ces techniques aux artistes, plutôt que de la laisser "confisquée" par des techniciens de l’image.
 



Mais qu'est-ce donc que l'estampe numérique ?
 

On entend par estampe une œuvre artistique imprimée à l’aide des différents procédés d’impression. On distingue l’estampe originale, créée directement par son auteur et l’estampe de reproduction, gravée ou dessinée d’après une œuvre pré-existante.
 
L’estampe à été popularisée dès ses origines en Asie et en Europe au XVe siècle, pour reproduire et diffuser les grands tableaux de maîtres, les images pieuses, mais aussi les images profanes. L’estampe est à la peinture ce que l’enregistrement à été à la musique. Un formidable moyen de diffusion et d’accessibilité à un large public, mais c’est surtout un art et un moyen d’expression en soi, qui a toujours attiré les plus grands artistes au cours des siècles.
 
L’histoire des techniques ne cessant d’évoluer, la fin du XXe siècle a vu arriver une nouvelle époque dans l'histoire de l’impression : l'ère du numérique.
 
La découverte remonte aux années 60 dans les laboratoires de l’Université de Stanford en Californie aux USA. La technologie a tout d'abord été développée par des informaticiens, pour tirer des sorties papiers des programmes des ordinateurs. C'est IBM qui a breveté cette technologie dans les années 1970 et la première imprimante, l'IBM 4640 ink-jet est sortie en 1976. Mais, les débuts du jet d’encre avec une impression de qualité des images, ont vraiment débutés à la fin des années 80, avec l’utilisation des machines Iris, conçues pour l’épreuvage dans l’imprimerie.
 
Graham Nash, le compositeur interprète et collectionneur passionné de photos,  réalise des éditions limitées à l'aide des machines Fuji, puis Iris et ouvre la première maison d’édition de tirages numériques en 1991. Nash appelle alors ses tirages des Digigraphs, Mais Bientôt les autres fabricants d’imprimantes lancent des recherches dans la direction de l’image photographique et c’est Epson, au Japon, qui réalise les premières machines jet d'encre capable d’atteindre des résolutions photographiques et met au point, en 2000, les encres à pigments sur des papiers préparés. Epson est bientôt suivi par HP, Canon et les autres fabricants...
 
L’impression numérique fera ainsi passer l’estampe de l’ère "autographique" à l’ère "allographique", une technique sans forme physique, matrice imprimante, remplacée par l’envoi de données numérisées qui seront restituées sans interruption par un flux numérique de données.