C’est au début des années 2000 que j’ai installé au milieu de mon atelier de lithographie ma première machine numérique en grand format. Placée parmi les outils traditionnels : pierres, plaques et presses lithographiques héritées du XIXe siècle.... Je commençais alors mes premières expérimentations pour les proposer aux artistes qui viennent travailler directement sur place. Les essais sur différents papiers et de nombreux tests de couleurs me permettaient d’obtenir un rendu particulier que je pouvais confronter à ma technique de lithographe, fondée sur l’expérience accumulée de trente ans de travail aux côtés des peintres.
C’est à cette époque que j’ai commencé une collaboration régulière avec Tim Maguire. Tout d’abord pour la réalisation de plusieurs lithographies, puis à l’occasion de sessions de monotypes qu’il venait réaliser à mon atelier lors de ses séjours à Paris. Parmi les artistes avec lesquels j’ai eu l’occasion d’avoir un véritable échange, il est sûrement l’un de ceux qui a le mieux intégré les procédés d’impression au cœur même de son travail de peintre. Lors de l’impression de ses monotypes, pour lesquels il utilise une technique originale de superposition des couleurs, je lui exposais mes propres recherches dans le domaine de l’impression numérique et les nouvelles possibilités ainsi proposées aux artistes : après les débuts expérimentaux de la fin des années 90, grâce à la mise au point des encres à base de pigments et non plus de colorants, plus proches des couleurs des peintres et bien plus résistantes à la lumière, et grâce à la finesse de résolution des machines sans cesse améliorées, cette nouvelle méthode est désormais à l’origine d’un véritable renouveau des techniques de l’estampe, telles que pratiquées par les artistes d’aujourd’hui.
Tim fut non seulement immédiatement intéressé par ces nouvelles possibilités, mais, bien plus encore,il alla jusqu’à “inventer” une approche à la fois plus ambitieuse et plus globale du procédé tout entier... Après des premiers essais à partir de plaques lithographiques, il se mit en fait très vite à travailler directement au pinceau de nouvelles compositions de grand format spécialement dédiées aux estampes numériques. Il ne s’agissait donc pas de reproduction ou de tirages d’après des œuvres préexistantes, mais bien de compositions originales conçues et réalisées spécifiquement pour cette technique.
Grâce à son expérience poussée du monotype, Tim a su transposer le dessin du pinceau au travail sur calques du logiciel Photoshop* et c’est ainsi que l’écran est devenu pour lui la nouvelle matrice de l’estampe numérique. Après la réalisation du dessin, l’artiste travaille au “mixage” des couleurs et chaque séance est l’occasion pour lui de faire de nouveaux essais. Les éditions sont imprimées au fur et à mesure de ses différents séjours dans l’atelier à Paris.
Les formats choisis sont essentiels à la perception des images. En effet, même si une étape cruciale du travail s’effectue sur l’écran, Tim ne perd jamais de vue le format définitif pour lequel il a conçu son dessin. Ainsi peut-il visualiser très précisément sur l’écran, au pixel près, l’effet obtenu par la superposition des couleurs; et en même temps, faire réaliser des épreuves grand format qui s’affichent sur les murs de l’atelier. Après le bon à tirer, vient le moment du tirage sur les traceurs qui restituent toutes les subtilités du travail, dans ses moindres détails. Il faut voir les allées et venues des têtes d’impression ultra-précises, déposant patiemment l’encre pendant des heures sur la surface du papier pur coton qui se déroule dans la machine, à la manière d’un “métier à tisser les images”.
A partir de 2005, avec l’avancement des éditions mais aussi sous l’effet stimulant des résultats des premiers tirages, nos rendez-vous se rapprochent. Tim vient de plus en plus souvent à Paris alors qu'une grande partie de ses dessins sont à présent réalisés dans son atelier à Londres. Il y a maintenant un changement d’échelle dans les projets que nous réalisons ensemble. Échelle de l’atelier, puisque j’ai désormais installé un nouvel espace tout spécialement dédié à cette nouvelle technique. Et surtout changement d’échelle pour les tirages, puisque Tim se met à y concevoir de très grands formats réalisés en plusieurs panneaux, souvent triptyques, atteignant des tailles inédites pour la réalisation d’estampes monumentales (2 x 3m et jusqu’à 3 x 6m pour la plus récente).
L’artiste peut alors investir une nouvelle dimension, comme libéré des contraintes physiques de la presse et du papier. Chaque création étant numérotée et signée selon l’éthique de l’estampe originale, sous sa forme rigoureuse de limitation et d’authenticité. Ainsi Tim Maguire, fort de sa pratique des moyens d’impression traditionnels, s’approprie une technique nouvelle pour l’inscrire dans la continuité de l’œuvre gravé contemporain.
Franck Bordas, août 2006
* Le logiciel Photoshop crée par Adobe à la fin des années 90, est devenu très vite l’outil essentiel et incontournable de toute création et retouche d’image. Sa conception originelle et son utilisation semblent comme le prolongement naturel du travail des lithographes qui ont toujours réalisé les images couleur par couleur, sur autant de “calques” et de passages qu’il y a de couleurs sur l’image. Utilisé par tous les graphistes et photographes, il est aujourd’hui de plus en plus utilisé par les peintres qui l’ont adopté comme un outil supplémentaire de leur atelier. A tel point que l’on pourra bientôt distinguer, dans l’histoire de la peinture, une période avant et après l’apparition du logiciel.